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RAPPORT MORAL 2020

Une année riche malgré les violences

Revenir sur l’année 2019, renvoie à un énorme contraste quand il s’agit de s’exprimer sur la vie du comité de jumelage et la situation au Burkina-Faso : 

  • Terrible violence à l’échelle du pays ;

  • Belle énergie à l’échelle de Bittou.

 

Le rapport d’activité que présentera Anne-Marie Herlemont et le rapport financier exposé par Jean-Paul Mazallon traduiront ce qui a été mis en œuvre entre Châteauroux et Bittou en 2019. Je propose donc de m’attacher à situer les enjeux de ce contraste entre les questions nationales, qui sont d’ailleurs internationales, et les réalisations locales, issues du partenariat entre les deux collectivités et leurs comités de jumelage. 

 

Le 1er février 2019, nous tenions notre assemblée générale ; le 7 février, les deux jeunes infirmières de la délégation médicale ayant travaillé 4 semaines sur place, rentraient de Bittou et le 15 février, un groupe d’une vingtaine de terroristes abattait 4 douaniers et un prêtre salésien espagnol à Nouhao, village rural de Bittou, situé à 5/6 kilomètres du centre urbain et du CSPS où nous amies avaient donné de leur temps et témoigné de leur intérêt pour la solidarité internationale. Plus qu’une alerte, une amplification du champ de la terreur que la France et le Burkina ont connu depuis 2015. 

 

Très rapidement, le Burkina a sombré sous les coups répétés et meurtriers des assaillants, bien plus équipés et organisés que les forces de sécurité du pays. Chacun de nous a pu suivre par les médias l’évolution des attaques qui se sont amplifiées, en particulier à partir d’août. Le nombre de morts est difficilement évaluable, les assauts ont souvent fait des dizaines de morts, surtout des femmes et des enfants dans les derniers temps. Le nombre de personnes ayant dû quitter leurs villages, leurs récoltes, leurs troupeaux, est estimé à 600 000, réfugiées internes dans leur pays. Combien pourront retourner chez eux, combien seront condamnés à l’immigration dans un autre pays africain, ou en Europe pour les plus aventureux ? A coup sûr, la quasi-totalité souffre de la faim, de l’absence de perspective à court et moyen terme dans son pays. Les tensions communautaires naissent et se développent dans un Burkina reconnu pour la cohabitation pacifique et la solidarité entre les multiples ethnies qui le peuplent ; la parenté à plaisanterie étant le système de régulation sociale tout à fait efficient pour une vie harmonieuse où chacun avait une reconnaissance, une identité quelle que soit sa situation économique et son appartenance religieuse.

 

Si les tensions internes sont à l’œuvre là où elles n’étaient pas connues, les tensions avec la communauté internationale sont aussi à l’œuvre. La France en particulier, fait l’objet de critiques très sévères dans ses responsabilités d’ancienne puissance coloniale, d’acteur militaire actuel avec la force Barkhane stationnée au Mali, de déstabilisation de la Libye, point de départ de la dispersion des armes et des groupes terroristes dans le Sahel après la chute de Kadafi. Un mouvement anti-français s’est développé parmi la population - beaucoup dans la jeunesse – mais aussi jusqu’au sein du gouvernement, puisque le ministre de la Défense a critiqué la force Barkhane alors qu’il était en déplacement en Afrique du Sud. Un haut responsable de la CGT Burkinabé, a très officiellement dit, lors d’un débat télévisé avec l’ambassadeur de France, que j’ai pu suivre, qu’il serait préférable, pour que le peuple burkinabé se prenne en main et reconquiert sa liberté, qu’un régime islamisme s’installe dans le pays.

 

Si certains en appellent au départ de la France, ils sollicitent l’intervention de la Russie et/ou de la Chine pour combattre le djihadisme. Il faut dire que Poutine a organisé une rencontre entre la Russie et les pays africains, rencontre qui a reçu un grand écho dans les pays les plus pauvres. La Chine, revenue dans le jeu diplomatique avec le Burkina en 2018, reste plus discrète mais s’active en matière d’exportations et de prises de positions dans l’économie du pays. Bien sûr la France n’est pas exempte de critiques. La page de la colonisation n’a pas été refermée clairement et les influences politiques et économiques ne sont pas éteintes, tout en proclamant le contraire, ouvrant ainsi la porte à toutes les interprétations. Il est troublant de voir le rejet de l’emprise de la France faire florès pour appeler d’autres « sauveurs » via la Russie ou la Chine. Et que dire de presque 60 ans d’indépendance sans que les gouvernants aient trouvé, voire cherché, la voie d’une réelle autonomie nationale et d’une solidarité entre Etats africains. La France conserve une lourde responsabilité dans cette absence de prise de distance, tant elle a été active dans le maintien au pouvoir de serviteurs zélés et fait obstacle à l’émergence de nouvelles générations de dirigeants. Ceux-ci étant souvent liés à l’URSS, la Lybie, Cuba, la réalpolitique a contribué à un statut quo qui vole en éclat avec l’émergence du djihadisme.

 

L’annonce de la fin du franc CFA en décembre en Côte d’Ivoire par le président ivoirien, lors de la visite du président français, n’a fait que complexifier toutes ces relations internationales, dans une réforme qui paraît bien plus symbolique que structurelle pour les économies des pays d’Afrique de l’Ouest concernés. L’ECO ressemble beaucoup au franc CFA.

 

Dans ces dernières semaines, l’armée et la police burkinabé ont obtenu des succès dans la lutte contre les groupes terroristes au nord du pays. Quelle évolution pour des progrès rapides ? 

 

La rencontre du 13 janvier 2020 entre les présidents des 5 pays du Sahel et le président français a abouti au renouvellement de la demande de soutien auprès de la France. Hélas, l’engagement sollicité des autres pays européens n’a pas été obtenu et les changements dans les politiques internes dans les pays concernés n’ont pas été abordés à la hauteur des problèmes de corruption, de faiblesse de la démocratie locale, de développement économique, social et culturel, qui pourtant, nourrissent la progression du terrorisme.

 

L’envoi de 220 militaires supplémentaires est peut-être utile, mais il ne règlera pas les questions de gouvernance et de développement à l’échelle des pays du Sahel.

 

Autre dimension du contraste, au niveau local, le plan de coopération que nous avons déposé pour la période 2019-2021 est de belle ambition pour le développement de Bittou. Il a été retenu par le MEAE dans son appel à projet triennal sur l’axe sécurité alimentaire et hygiène publique, avec le financement que nous avons sollicité. Le Syndicat de traitement des ordures ménagères de la région de Châteauroux a marqué son soutien au projet de collecte des déchets, ainsi que le Programme d’Appui à la GEstion des Déchets au Sud, en mobilisant le dispositif 1% déchets ; l’agence de l’eau Loire Bretagne a apporté sa contribution au financement de forages. Bref, la mobilisation derrière Châteauroux s’amplifie pour le développement de Bittou. 

 

Bittou s’est aussi mobilisé sur la mise en œuvre des actions prévues sur les 3 ans du plan arrêté conjointement. La mairie, particulièrement sur le projet de collecte des déchets, le comité de jumelage, les associations ou groupements de producteurs, sont impliqués pour la sécurité alimentaire et l’hygiène publique.

 

Les assises de la coopération décentralisée à Poitiers les 10 et 11 octobre ont réuni des collectivités locales (communes et régions), des ONG et des représentants des gouvernements du G5 Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) et de la France (plus une ONG allemande). Ce fut un temps dense et très intéressant au cours duquel chaque acteur a souligné la pertinence de la coopération décentralisée comme levier du développement local, du soutien à la gouvernance locale et donc un moyen de lutter contre l’avancée de l’obscurantisme, la pauvreté et la violence qui se nourrissent mutuellement.

 

Il convient de souligner l’effort de la France dans ses engagements de porter son aide publique au développement à 0.55 % de son PIB d’ici 2022 et le doublement de son soutien à la coopération décentralisée entre 2018 et 2019.

 

Bien sûr, 2019 a été marqué par la célébration du 30ième anniversaire, très belle manifestation avec un engagement fort de la ville de Châteauroux pour sa réussite et honorer les délégations présentes. Conséquence directe de la situation nationale, le déplacement d’une délégation, conduite par le maire de Châteauroux, pour se rendre à Bittou pour une cérémonie retour, prévue à Bittou en décembre, a dû être annulé. Cependant, pour ne pas baisser les bras, la mairie et le comité de jumelage de Bittou, ont organisé une célébration de cet anniversaire le 28 décembre. D’après les retours qui nous ont été fait, ce fut une belle fête, avec une valorisation des actions passées et l’évocation de perspectives pour la poursuite du partenariat avec Châteauroux.

 

L’impossibilité actuelle de se rendre à Bittou vient bien sûr perturber les stratégies de travail que nous avions jusqu’alors avec nos partenaires pour élaborer les actions à conduire et pour évaluer leurs résultats. Nous avons déjà mis à l’œuvre des critères d’évaluation de chaque action prévue dans le plan 2019-2021. Le comité de Bittou commence à se les approprier dans les bilans qui nous ont été adressés pour le programme 2019. Internet, WhatsApp, les tableaux Excel sont précieux mais ne remplacent pas les observations et les discussions sur site. 

 

Dans le message vidéo que Châteauroux a adressé pour cette cérémonie avec des propos chaleureux de messieurs Avérous et Hugon, je concluais en disant, tant que la santé le permettra, nous serons à vos côtés. 

 

C’est aussi ma conclusion de ce soir. Encore faut-il que les Etats africains et leurs peuples ne souhaitent pas aussi rejeter les solidarités que peuvent mobiliser les citoyens et les élus locaux à travers la coopération décentralisée.

 

La façon dont Bittou a célébré le 30ième anniversaire de l’officialisation du jumelage, avec une grande ferveur populaire, indique, pour le moment, une volonté de poursuivre le partenariat entre nos deux collectivités. 

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Châteauroux, le 31 janvier 2020

 

Le président,

Alain Dubost

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